Léa VITALONE / Game User Researcher

« Aujourd'hui, je vous présente Léa, une amie de longue date et professionnelle du jeu vidéo. Après des études scientifiques et un master en ergonomie des jeux vidéo à l'ENJMIN, elle est devenue "game user researcher". Léa analyse comment les joueurs interagissent avec les jeux en développement, rendant ces derniers plus accessibles et plaisants. Sa passion et son travail sont essentiels pour améliorer l'expérience des joueurs »

25/07/2024

Maëlle : Salut Léa !

Léa : Hello!

Maëlle : Léa, cela fait vraiment longtemps que nous nous connaissons, nous avons fréquenté la maternelle ensemble ! Puis, nous avons continué à nous suivre au primaire et au collège. Après cela, nous avons un peu perdu le contact, mais nous nous sommes retrouvés grâce à ton travail dans l'industrie du jeu vidéo, notamment chez Ubisoft. Étant assez curieuse, j'aimerais te présenter à la communauté Les Femmes De l’Image. Pourrais-tu nous expliquer ce que tu as fait après le collège, Léa ?

Léa : Eh bien, après le collège, j'ai suivi une filière générale au lycée et j'ai obtenu mon baccalauréat en filière scientifique (bac S). À ce moment-là, je me suis demandé quelle direction prendre avec ces connaissances. J'ai envisagé de devenir neuropsychologue, mais j'ai rapidement réalisé que cette profession rencontrait certaines complications en France. Je me suis rendu compte des défis liés à son exercice dans notre pays. Par conséquent, j'ai décidé qu'il me fallait une autre carrière qui m'inspire davantage et qui offre de meilleures perspectives d'avenir.

C'est à ce moment-là que j'ai découvert que je pouvais appliquer mes connaissances en psychologie au monde du jeu vidéo. J'ai trouvé une formation à l'ENJMIN (École Nationale des Jeux et des Métiers Interactifs), la seule école nationale publique dédiée au jeu vidéo. Cette école proposait un programme en ergonomie liée aux jeux vidéo, ce qui correspondait parfaitement à ma formation en psychologie. C'est ainsi que j'ai pu intégrer directement le domaine du jeu vidéo.

Maëlle : C'est vraiment génial !

Léa : Donc, j'ai poursuivi directement ce master et j'ai passé un concours pour y être admise... Je me souviens que c'était un véritable parcours du combattant pour intégrer cette école. Il y a un concours d'entrée assez sélectif, et comme c'est une école publique, la demande est très élevée. Cela contraste avec les écoles privées payantes qui exigent des frais d'inscription élevés. Malgré cela, j'ai réussi à être acceptée, ce qui est vraiment cool. J'ai commencé mon master en 2020, et il a duré jusqu'en 2022.

Maëlle : Donc, tu as passé le concours et tu es entrée dans cette école. Peux-tu me rappeler combien de temps tu y es restée ? 

Léa : J'y suis restée pendant 2 ans, pour mon master.

Maëlle : Et après avoir obtenu ton master, qu'as-tu fait ? 

Léa : Après avoir obtenu mon master, il était nécessaire de réaliser un stage au dernier semestre de la deuxième année. Lorsque la période de stage est arrivée, tout le monde en France cherchait une entreprise de jeux vidéo prête à accueillir des stagiaires juniors. Mon choix s'est rapidement porté sur Ubisoft, car en ce qui concerne la recherche utilisateur, c'était là que je voyais la possibilité d'acquérir le plus d'expérience et de compétences professionnelles. J'ai donc décidé de tenter ma chance pour y décrocher un stage. Heureusement, j'ai réussi à intégrer cette entreprise et à effectuer mon stage. Aujourd'hui, je suis en fait employée chez Ubisoft, car ils m'ont embauchée en CDD, puis en CDI par la suite. 

Maëlle : Félicitations Léa !

Léa : Merci ! C'est tout récent, mais je suis vraiment ravie parce que c'est exactement ce que je souhaitais. C'était vraiment un rêve pour moi, alors je suis heureuse d'être là-bas.

Maëlle : C'est vraiment super. Je sais que tu exerces un métier peu connu dans l'industrie du jeu vidéo, peut-être pas spécifiquement chez Ubisoft, mais nous allons en parler. La première fois que tu m'en as parlé, tu m'as dit : "Je regarde les joueurs jouer." Est-ce que tu pourrais expliquer en détail ce que cela signifie ?

Léa : C'est en effet la manière la plus simple de décrire mon métier, disons. Cependant, il convient de préciser que le titre exact est "game user researcher". Nous sommes quelques-uns en France, je ne pourrais pas te donner un chiffre exact, mais je pense que nous sommes entre 40 et 50.

Maëlle : Oh, c'est très peu en effet.

Léa : Oui, en effet, mais il y a également d'autres studios qui ont mis en place leur propre laboratoire. Nous travaillons généralement au sein de ces laboratoires, c'est ainsi que nous appelons nos services. 

En tant que "game user researchers", au-delà de simplement observer les joueurs, notre travail comporte également une dimension expérimentale. Notre formation nous permet de concevoir et de développer des protocoles expérimentaux pour réaliser des tests avec les joueurs directement sur des jeux en cours de production. Cela s'avère particulièrement utile, car un jeu en cours de production n'est pas encore terminé et peut subir des modifications, voire des révisions importantes. 

Cela concerne également l'aspect de l'usabilité, un terme que nous utilisons fréquemment dans notre domaine.

L'usabilité se réfère à la facilité avec laquelle un joueur peut prendre en main le jeu, comprendre les règles, et jouer de manière fluide. Nous nous posons des questions telles que : Est-ce que le joueur comprend le jeu et ses mécanismes ? A-t-il les outils nécessaires pour jouer comme il le souhaite ? Les contrôles fonctionnent-ils correctement, ou rencontrent-ils des problèmes d'adaptation ? Préféreraient-ils d'autres types de contrôles ? 

Rencontrent-ils des difficultés visuelles ou auditives ? 

Nous évaluons tous ces aspects, car le jeu vidéo est aujourd'hui considéré comme une œuvre complexe, comportant de nombreux paramètres à prendre en compte. Cela se traduit généralement par des protocoles de test très complets. Nous essayons d'incorporer autant que possible des méthodes scientifiques pour fournir des résultats solides.

En résumé, notre travail englobe toutes ces dimensions. Nous évaluons également la satisfaction des joueurs par rapport au contenu du jeu auquel ils ont joué. C'est une application directe de ce que j'ai appris en licence de psychologie, mais appliqué au monde du jeu vidéo.

Maëlle : Tu jouais à quoi quand tu étais petite ? 

Léa : Pour ma part, je suis une grande fan inconditionnelle de Professeur Layton. C'est vraiment ma licence préférée. J'en parle tellement souvent que cela peut parfois agacer certains, mais Professeur Layton occupe une place très spéciale dans mon cœur. J'ai donc été fidèle à Nintendo pendant toute mon enfance, et je le suis encore aujourd'hui. J'ai commencé avec la DS quand j'étais petite, puis j'ai passé du temps sur la Wii, et maintenant je joue sur la Nintendo Switch. Ce qui est vraiment bien, c'est que de plus en plus de jeux sont portés sur la Switch, ce qui nous permet de découvrir d'autres jeux en plus de ceux produits directement par Nintendo. Quand j'étais enfant, mes jeux préférés étaient principalement Mario, Zelda et Professeur Layton.

Maëlle : C'est génial ! Donc, pour résumer, tu observes les gens en train de jouer aux jeux vidéo. Mais comment recrutes-tu ces personnes pour les tests ?

Léa : Eh bien, le processus de recrutement varie en fonction des studios. Pour ce que je connais, nous avons une base de joueurs inscrits, et chez Ubisoft par exemple, les joueurs peuvent s'inscrire pour participer aux tests sur le site web. Ils remplissent leur profil et indiquent leur activité de joueur, etc. De temps en temps, nous leur envoyons des e-mails pour les informer qu'il y aura un test à une certaine date, et nous leur demandons s'ils sont disponibles. S'ils le sont, ils doivent remplir un questionnaire. De notre côté, c'est plus facile de recruter de cette manière, car nous avons une liste de joueurs disponibles. Si quelqu'un est disponible, nous pouvons les contacter directement et les recruter.

Dans d'autres studios, je ne suis pas sûr de la méthode exacte, mais j'ai entendu dire qu'ils utilisent parfois des Discord, des forums ou des groupes pour recruter des testeurs. Donc, cela peut vraiment varier d'une communauté à une autre. Chez Ubisoft, je sais que les joueurs peuvent s'inscrire directement sur notre site web pour participer aux tests, que ce soit en personne ou à distance.

Maëlle : Vous êtes combien dans ton équipe ? 

Léa : Nous sommes une équipe d'environ une vingtaine de game user researchers. Parmi eux, environ 15 à 16 d'entre nous exercent le même métier que le mien, et nous avons également 4 ou 5 managers. Donc c'est une équipe assez conséquente. En France, du moins au moment où j'ai rejoint l'industrie du jeu vidéo, notre laboratoire de game user researchers était l'un des plus importants en interne au sein d'un studio.

Maëlle : Es-tu amenée à travailler dans d'autres pays ?

Léa : Ubisoft est présent dans de nombreux pays à travers le monde. Personnellement, je ne suis pas nécessairement amenée à travailler dans d'autres pays, car cela n'est pas nécessaire pour ma fonction. Cependant, il peut m'arriver de me déplacer dans d'autres pays pour rencontrer des équipes de production d'Ubisoft avec lesquelles je travaille sur des projets spécifiques. Par exemple, certains de mes collègues ont eu l'occasion de rencontrer des équipes à Milan lorsqu'ils collaboraient directement avec elles. Cependant, il est important de noter que le voyage n'est pas une composante majeure de mon métier. En réalité, je passe la plupart de mon temps dans mon laboratoire à mener des expériences.

Maëlle : Envisages-tu de poursuivre ta carrière chez Ubisoft à l'avenir, ou te vois-tu explorer d'autres horizons, comme travailler pour d'autres studios de jeu vidéo ? Je sais que tu as une grande affection pour Ubisoft

Léa : Pour l'instant, je ne prévois pas de quitter Ubisoft. Comme je l'ai mentionné au début, mon expérience au sein du studio est encore relativement courte, ayant travaillé là-bas pendant seulement un an. Je ressens qu'il y a encore énormément à apprendre et à découvrir, et je considère Ubisoft comme le meilleur environnement pour développer mes compétences et bénéficier de la richesse des connaissances disponibles. Cependant, en ce qui concerne l'avenir, on ne peut jamais prédire avec certitude ce qui se passera. Pour le moment, je ne prévois pas de quitter Ubisoft Paris à court ou moyen terme.

Maëlle : Quel est le meilleur souvenir que tu aies sur un projet ?

Léa : Je dirais que parmi mes nombreux souvenirs, le meilleur serait plutôt récent. Pendant ce test en particulier, nous avions un protocole spécial qui consistait à faire jouer des joueurs en coopération. C'était fascinant d'observer leurs interactions et leur manière de jouer ensemble. Nous avons pu recueillir des informations précieuses que nous n'aurions pas pu obtenir autrement. Par exemple, lorsque l'un des joueurs expliquait à l'autre une fonctionnalité du jeu ou un menu, cela nous indiquait que cette partie du jeu n'était pas claire pour tous les joueurs. Passer deux ou trois jours avec ces joueurs et observer leur coopération était une expérience très enrichissante. C'est l'un des souvenirs les plus mémorables pour moi.

Maëlle : Exactement, le fait que toute une équipe de joueurs collabore ensemble a permis de mettre en lumière davantage de détails.

Léa : Tout à fait, parfois, lors des tests, des découvertes inattendues peuvent surgir, des aspects auxquels on n'aurait pas nécessairement pensé au départ. Même si en tant que chercheurs, cela peut être déconcertant, ces surprises peuvent s'avérer extrêmement enrichissantes. Elles nous permettent d'ajouter des éléments inattendus à notre analyse, ce qui peut être un peu complexe à intégrer, mais qui offre des enseignements précieux pour l'équipe et des points d'attention pour les futurs projets. C'est vraiment l'une des parties les plus intéressantes pour moi lorsque cela se produit.

Maëlle : as-tu un échec favori sur un projet Ubisoft ? 

Léa : Mon échec préféré serait lié à une mauvaise gestion du stress. Cela s'est produit environ six ou sept mois après le début de mon expérience chez Ubisoft. J'ai subi un moment de stress intense lors d'un test qui ne s'est pas déroulé comme je l'avais prévu, et j'ai fini par craquer. Avec du recul, je considère cet échec comme l'un de mes meilleurs apprentissages. Je sais désormais que je ne peux plus me permettre de craquer de la sorte, car j'ai acquis suffisamment de recul sur ma profession et sur les aléas qui peuvent survenir. Lors de ce test en particulier, j'ai été confrontée à de nombreux problèmes techniques liés au fait que nous testons des jeux en développement, ce qui entraîne souvent des problèmes techniques, des plantages de jeu et des bugs. Ces problèmes sont parfois difficiles à anticiper, mais maintenant, je suis beaucoup plus sereine face à de telles situations. Alors que cela a été un échec à l'époque, je le considère maintenant comme une leçon précieuse. C'est une part intégrante de notre métier.

Maëlle : C'est vraiment génial que tu aies tiré des leçons de tes erreurs et que tu aies pris la décision de ne pas les répéter. c'est un sentiment qui peut parfois ressembler au syndrome de l'imposteur.

Léa : En effet, il est important de se rappeler que lorsqu'un test ne se déroule pas comme prévu, il n'y a personne en danger, et il n'y a pas de vies en jeu. Je me dis que si un jeu présente des bugs, ce n'est pas une catastrophe.

Maëlle : ce n'est même pas de ta faute si le jeu présente des bugs !

Léa : Non normalement ce n’est pas de ma faute. Mais on doit faire avec.

Maëlle : Tu dois t'adapter.

Léa : Exactement, c'est tout le cœur du métier. Pour être en mesure de fournir des retours constructifs aux équipes de développement et de les aider à progresser, il faut travailler avec ce que l'on a. 

Même si parfois, nous testons des versions de jeux instables, nous faisons de notre mieux, car nous savons que ces équipes sont désireuses de recevoir des retours. Cela a toujours été le cas, quelle que soit l'entreprise ou l'équipe de développement travaillant sur le jeu.

D'ailleurs, à l'école, j'ai été impressionnée par la manière dont nous, les game user researchers, avons été bien intégrés au sein de la communauté étudiante.

Les autres étudiants, qu'ils soient en programmation, conception visuelle, conception de jeux ou dans d'autres disciplines, étaient également très intéressés par nos retours. Nous avons appris les uns des autres pendant nos projets étudiants, et ils se sont habitués à recevoir des retours de joueurs tout au long de leur formation. 

Je revois maintenant certaines de ces personnes lors d'événements de l'école ou de remises de diplômes, et ils apprécient toujours les retours des joueurs. 

Ils aimeraient même en avoir plus souvent ! Il est évident que notre impact se ressent à la fois sur le moral de l'équipe de production et sur l'avancement du projet. C'est extrêmement gratifiant.

Maëlle : C'est vraiment formidable ! Léa, je te souhaite tout le bonheur du monde chez Ubisoft. Profite pleinement de ton métier, on peut clairement voir que tu es passionnée. 

Léa : Oui ça c’est clair. C’est un métier qui me rend heureuse tous les jours donc je ne changerais pour rien au monde.